Tic tac, tic tac, tic tac. Tic. Tac.

Tic.

Tac.

Le temps. Chose tellement abstraite pour ceux de sa race. Une chose qui n’avait pas….n’aurait pas dû avoir… d’emprise sur lui. Qu’est-ce que le temps pour un vampire condamné à une vie d’éternité ? Qu’est-ce que représentait une décennie, deux…un siècle ? Absolument rien. Le temps passait. Filait. S’échappait des doigts fantomatiques qui tentaient de le retenir par tous les moyens. Ces humains condamnés et terrifiés de finir leur vie dans le néant. Eux qui repoussaient les limites de la mort, grappillaient du temps au Temps dans l’espoir de vivre encore un peu plus…Longtemps.

Tic tac.

Le temps n’attend pas.

Le temps n’était qu’une simple banalité pour les vampires. Un simple moyen de se repérer dans leur si longue vie. Les saisons, les années qui passent, les guerres et les miracles. Mais pour lui…il était tellement primordial. Le temps ne l’affectait pas mais réglait sa vie comme un métronome, l’ordonnait comme le bon lord britannique qu’il était.

Un thé à sept heures.
Une matinée de recherches passionnées.
Un thé à midi.
Une après-midi de liberté, d’expériences… et de ratés.
Un thé à seize heures.
Une soirée de recherches plus…sulfureuses. Son lit appréciait les amants d’un soir.
Un thé à minuit, avant de mettre son aventure d’une nuit dehors et d’apprécier ces quelques heures au calme…
Avant que tout ne recommence.

Il vivait le temps, réglé comme une horloge. Il en était conscient. Son état devenait quasiment obsessionnel. Oui, il le savait. Et pourtant…Son esprit était trop carré, compartimenté, structuré, pour qu’il puisse vivre de façon totalement…aléatoire. Comme tous ces humains incapables d’être ponctuels à un rendez-vous important. Qui luttaient contre le temps au lieu de simplement… « faire avec ».

Et pour la première fois de sa vie. De sa si longue vie…Il était en retard. Et c’était…Inadmissible. Inacceptable. Scandaleux. Il n’avait jamais, au grand jamais, loupé l’heure d’un thé.
Le temps s’était bien joué de lui. Lui donner pour guide un garde d’une lenteur affligeante…Il n’aurait certes pas pu retrouver son chemin dans le dédale du manoir, mais pourquoi mettait-il tant de temps à ouvrir une simple porte ? Peut-être qu’Ezequiel se trouvait derrière, et qu’un peu de décorum était de mise pour le présenter, mais tout de même ! Son thé n’attendait pas et l’heure était déjà passée de cinq minutes !

Tic tac, tic tac, tic tac…

_Accélérez le mouvement mon brave. Je n’ai pas toute la journée !

Des portes qui s’ouvrent enfin sur un grincement. Pas les gonds, non. Les dents du garde qui avait visiblement peu apprécié de se faire ainsi rappeler à l’ordre par un inconnu.
Son père lui pardonnerait certainement son entrée fracassante. Ses petites habitudes ne lui étaient pas inconnues après tout…

Tic tac.

Le temps ne s’arrête pas.

La folie s’empare doucement de son être, tel un venin elle s’insinue dans ses veines depuis trois jours. Depuis qu’il a rencontré cette strige qui lui rappel tant de chose de son passé, lui ayant reproché tout ce qu’il aurait dut faire et qu’il avait rejeté... Etait-il réellement fautif ? Il se le demandait aujourd’hui, alors que tant de temps ont passé, se remettant en question. Pourtant, aurait il put agir autrement après tout ce qui s’était passé ? Non, Ezequiel le savait, il n’aurait put rien faire d’autre… Et si c’était à refaire, recommencerait il de nouveau sur la même voie ? Avant de rencontré la fille de Gaëlle, il aurait dit oui sans hésité. Mais à présent…

Tout était si confus, il avait encore ces mots raisonnant dans sa tête, tout se mélangeait. Et la colère se mêlait à la folie, s’enroulant autour de la cage de ce qu’il avait été après sa transformation, cette bête sans état d’âme. Bien qu’il se maîtrisait parfaitement devant les autres, il ne pouvait ignorer que ses sentiments actuelle le menait à détruire ce qu’il avait mit tant de temps à construire. Il soupira et se laissa aller dans son siège, les yeux clos.

La soirée avait plutôt bien commencé, après une journée de travail bien remplie à la mairie, Ezequiel était rentré au manoir afin de s’occuper de la « famille ». Et oui, pas vraiment de temps de repos pour notre très cher vampire. Il s’était occupé de la paperasse tout d’abord, regardant l’argent que rapport le bar, la boite de nuit, l’Asylum et l’établissement du don du sang. Les choses avançaient bien, il avait même fait du profit dernièrement. Il inspecta ensuite avec Kalyshka le manoir, savoir ou était les faiblesses du lieu afin de se préparer à toute attaque de son cher et tendre ennemis Alexander… Son silence actuel ne lui disait rien qui vaille.

Enfin, à présent qu’il était seul dans son bureau, il ne pouvait penser qu’a cette fameuse soirée, ou il avait fait la connaissance, pour le moins inattendu, d’un membre de sa famille. Il soupira, retira sa veste et sa chemise, se retrouvant torse nu, il sentie à peine la fraicheur du lieu, il posa le tout sur une chaise, alluma une cigarette et s’assit dans son fauteuil préférer regardant par la fenêtre en réfléchissant.

Après un énième soupir frustrer, il aurait dut la rattraper quand il l’a vu courir, il aurait dut la retenir. Au risque de la tuer ? Lui demanda une petite voix. Il écrasa sa cigarette avant d’en allumer une autre. On frappa alors à la porte, il grogna et dit d’une voix calme et ferme en s’emparant de sa chemise :

« Entrez ! »

Il mit sa chemise qu’il laissa ouvert et se tourna vers les intrus. Un vampire entra dans la salle, quel ne fut pas sa surprise lorsqu’il vit la personne à sa suite, nul autre que Chris... Il haussa un sourcil et dit avec un sourire ironique :

« Et bien si je m’attendais à ca… Le fils prodigue de retour. Je te croyais en Europe comme le disait ta dernière lettre, que fais-tu ici ? »

Malgré cette question qui donnait l’impression qu’il ne voulait pas le voir, Ezequiel arborait un large sourire…

Un sourire s’étala sur les lèvres du petit lord, au visage auparavant agacé. C’était bon de rentrer chez soi. De retrouver Ezequiel et ses piques distrayantes. Ce « je t’aime moi non plus » et tous ces non-dits qui flottaient entre eux. Ces « tu m’as manqué » que leur fierté mal placée garderait dans le silence de leur cœur. Cette compréhension silencieuse qui n’appartenait qu’à eux.

Et puis il n’y avait bien que le vieux vampire pour supporter l’insupportable anglais.

_ Oui, je sais Ezequiel. Je sais. Je t’ai horriblement manqué. Ta vie n’a été qu’un long désert durant mon absence. Vide. Tu es au comble de la joie de revoir ma si parfaite personne. Moi aussi si tu veux tout savoir. Mais passons les effusions de joie et de sentiments dégoulinants, veux-tu ? L’heure de mon thé est passée depuis dix bonnes minutes. Installons-nous et je te raconterai pourquoi j’ai abandonné Londres pour venir ici.

Une tasse finement décorée s’agita sous le nez du garde, sortie du sac de l’impertinent Chris. Visiblement, se trimballer tout son service à thé était une habitude chez lui. Autant pour sa réputation de Lord excentrique. Comment pouvait-il transporter sa porcelaine sans qu’elle ne casse ? Ceci est un secret qui vous sera révéler plus tard. Peut-être. Un jour.

_Allez donc me remplir ceci mon brave. Merci.

Outrageant comme le vampire prenait ses aises à peine arrivé n’est-ce pas ? En tout cas, son ton d’aristocratique supérieur fit bouillir le sang du garde momentanément reconverti en majordome et qui s’éclipsa pour accéder à sa demande.
Satisfait, Chris abandonna son sac près de la porte et passa à côté de son père en lui tapotant l’épaule, se dirigeant vers un des fauteuils.

_Magnifique chemise, Dad. Mais tu devrais la fermer, tu pourrais faire des jaloux.

Lui, jaloux ? Non. Il était parfait après tout. A vrai dire, il pensait plutôt à toutes ces pauvres demoiselles munies d’une poitrine développée et obligées de s’étrangler dans un soutien-gorge pour la soutenir. Quoi que, l’invention de ce bout de tissu avait certainement été un soulagement pour toutes ces femmes qui se soumettaient quotidiennement à la torture du…corset. Avant. Il y a longtemps.

Et puis Ezequiel était un beau spécimen de mâle. Certains hommes aussi, pouvaient en être jaloux. Mais de toute façon, sa perfection méritait un père parfait aussi. Alors ce n’était pas vraiment étonnant que le vieux vampire soit séduisant.

Et aujourd’hui, après quelques…70 ? 80 ans ? de séparation…Oui, il avait fini par ne plus compter les années….voilà qu’ils se retrouvaient, comme s’ils ne s’étaient jamais quittés. Lui toujours aussi insolent et Eze toujours aussi…lui. Toujours là pour sa famille. Un vieux vampire bourru et à la langue acérée. Ils se charriaient comme au premier jour, tout simplement heureux d’être à nouveau ensemble.

Ezequiel regarda son « fils » avancé vers lui. Oui, fils, car c’était la relation qui s’était instauré entre eux malgré lui. En devenant le guide de certains, il devenait Le père. En général, on le prenait plus pour le guide. Bien que personne dans le manoir sauf Haron et Kalyshka ne savait qu’il était le vampire Originel, celui qui avait damné leurs âmes à tous… Sa chère et tendre « fille », la première qu’il avait transformé, Kalyshka, ne voyait pas les choses ainsi, argumentant que pour la plupart il les avait sauvé. Ironique n’est ce pas ? Du moins quand on sait qu’il lui à donné cette vie nocturne après l’avoir vidé de son sang ne pouvant résister à l’appel du sang… Elle avait été la première et elle le coïnciderait comme un père…Un sourire naquit sur ses lèvres, puis il tira sur sa cigarette. Il dit d’une voix calme ou un soupçon d’ironie se faisait entendre :

« Je crois que tu confonds mon cher, c’est plutôt Kalyshka a qui tu auras manqué mon cher. Moi j’ai put me passer de ta présence et je me demande si je ne devrais pas te fuir. Réaction normal me diras tu. »

Ezequiel eut un large sourire et observa le jeune homme avec attention. Il n’avait certes pas changé physiquement, mais au niveau vestimentaire il en allait autrement. En soixante-dix ans celui-ci avait évidement un nouveau style. Il eut un sourire en coin, puis continua avec un peu plus de douceur :

« Pour la chemise, il n’y a presque personne qui entre dans mon bureau tu sais. Je peux bien me mettre à mon aise. Mais dit-moi qu’est ce qui peut bien t’amener ici. J’avoue que ta présence m’intrigue. Toi qui ne voulais pas te séparer de ta liberté… »

Le strige s’approcha alors d’un buffet et en sortie une bouteille de cognac puis se servit. Puisque Chris avait déjà demandé du sang pour l'heure du thé, il se permit de ne pas le servir. Il tira de nouveau sur sa cigarette et s’assit face au vampire. Il but une gorgé du liquide ambré et dit avec calme :

« J’espère que tes recherches ont été fructueuses. Cependant tel que je te connais tu serais prêt à te mettre en danger pour plus de connaissance. Alors racontes moi tout. »

On frappa de nouveau à la porte. Ezequiel donna l’autorisation à l’intrus d’entrer dans le bureau et celui qui avait accompagné Chris entra dans le bureau tenant fermement la tasse et la tendant à son propriétaire. Eze sentit alors venir à lui l’odeur du thé, de l’Earl Grey plus précisément et il ne put retenir un léger rire quand il vit la tête de Chris…

_J’aurai manqué à cette bonne vieille Kalyshka ? Allons bon…Elle regrettera bientôt mon retour quand elle verra quel chantier va devenir ta bibliothèque.

Quoi ? Aimer les livres et les bibliothèques ne voulait pas forcément dire être ordonné. S’il prenait grand soin des ouvrages qu’il lisait assidument, il avait une nette tendance à s’étaler partout durant ses recherches. Les étagères se vidaient rapidement des livres alors que les tables de travail disparaissaient soudainement sous des piles et des piles de manuscrits. Quant au sol, il ne fallait pas deux jours pour qu’il soit totalement recouvert de parchemins à l’écriture illisible. Les pattes de mouche étaient difficilement traduisibles pour une autre personne que le vampire brun.
Chris s’affala avec toute la grâce d’un lord anglais dans un des confortables fauteuils et croisa les jambes dans une posture nonchalante et provocatrice, un fin sourire aux lèvres.

_Quoi ? Tu penses que je ne pourrai pas rentrer simplement parce que j’ai le mal du pays ? Tu me blesses tu sais. Moi qui suis rentré exprès pour te revoir, mon cher Daddy…

Mais Ezequiel le connaissait bien. Très bien. Peut-être un peu trop même. Il n’était pas difficile pour le vieux vampire de deviner que la raison du retour de son fils était bien loin de toutes considérations sentimentales. Ô certes, Chris pouvait avoir le mal du pays et avoir envie de revenir dire bonjour à sa famille. Mais ce n’était pas la principale raison à son retour. L’amusement disparu du visage du brun, remplacé assez vite par une étrange grimace.

_Mes recherches avancent bien. Très bien même. Je suis assez content des résultats que j’ai pu obtenir au cours de mes différentes petites…expériences.

Ses yeux verts se posèrent sur Ezequiel, inquisiteurs. Tentant de deviner quelle serait la prochaine réaction du vampire. Peut-être que son père se moquerait de lui et de sa malchance légendaire qui entachait sa perfection. Ou peut-être qu’il serait encore très agacé par ses frasques.

_A vrai dire, j’ai eu quelques petits… « soucis » avec des sujets d’études. Lors d’une expérience, j’ai tué un jeune lycan par accident. Et toute sa meute s’est lancée à ma poursuite. Une sombre histoire de solution d’argent. Visiblement très nocif pour eux.

Chris fit un vague geste de la main, un peu gêné. Il n’y avait vraiment que lui pour se mettre dans des situations pareilles n’est-ce pas ? Leur si passionnante conversation fut interrompue par le garde qui revint avec une thé à tasse remplie de…Thé. Le vampire jeta un regard sceptique à l’homme, sans prendre la tasse.

_Ezequiel. Ton garde est-il stupide ou quoi ? Non, ne répond pas….Mon brave, je suis un vampire. Me croyez-vous assez masochiste pour que je puisse vouloir boire un liquide qui deviendrait aussitôt cendres dans ma bouche ? Quand je parlais de remplir cette tasse, je pensais à du sang. Frais de préférence. Pas à du…hm… Earl Grey, si je ne m’abuse. Pas mal. Mais ce n’est malheureusement plus à mon goût depuis quelques années à présent. Retournez chercher du sang cette fois-ci mon brave. Merci.

Le garde, humilié, fit demi-tour avec la tasse et quitta le bureau d’Ezequiel, alors que le britannique se tournait vers son père.

_Excuse moi. Où en étions-nous Dad ?